(New York, 3 juin 2025) – Trente-six ans après le massacre d’un nombre indéterminé de manifestants pacifiques pro-démocratie à Pékin, le gouvernement chinois cherche toujours à effacer le souvenir du massacre de Tiananmen de juin 1989, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les autorités devraient cesser de censurer les informations sur le massacre, autoriser les commémorations, indemniser les familles des victimes et s’assurer que les responsables d’exactions encore en vie soient tenus de rendre des comptes.
Comme les années précédentes, à l'approche de l'anniversaire du 4 juin, les autorités chinoises répriment de manière préventive les commémorations, notamment celles des Mères de Tiananmen, dont des fils et filles étaient des victimes du massacre. Parmi elles, Zhang Xianling, âgée de 87 ans, a déclaré à Radio Free Asia que bien qu’elle puisse à peine « marcher 200 mètres sans avoir besoin [de s’asseoir dans un] fauteuil roulant », les autorités continuent de la soumettre à une surveillance stricte et à des restrictions de mouvement ; il en est de même pour les autres Mères de Tiananmen.
« Le gouvernement chinois n'a jamais reconnu sa responsabilité à l’égard du massacre de Tiananmen, et n’a toujours pas accordé des réparations aux familles des victimes », a déclaré Yalkun Uluyol, chercheur sur la Chine à Human Rights Watch. « L'amnésie imposée par Pékin a renforcé le régime autoritaire en Chine, sans pour autant éteindre la quête de vérité, ni les espoirs portant sur la démocratie et le respect des droits humains. »
La répression préventive des commémorations du massacre de Tiananmen rappelle brutalement les efforts continus du gouvernement visant à étouffer la dissidence en Chine, et ses violations récurrentes des droits à la liberté d'expression et de réunion pacifique.
Le massacre de Tiananmen a été déclenché par le rassemblement pacifique d'étudiants, de travailleurs et d'autres personnes sur la place Tiananmen à Pékin et dans d'autres villes chinoises en avril 1989 ; ils réclamaient la liberté d'expression, des réformes démocratiques et la fin de la corruption. Le 20 mai 1989, le gouvernement a réagi à l'intensification des manifestations en déclarant la loi martiale. Les 3 et 4 juin, des soldats de l'Armée populaire de libération ont ouvert le feu et abattu de nombreux manifestants à Pékin ; des personnes qui se trouvaient sur les lieux ont aussi été tuées.
L'interdiction par le gouvernement chinois des commémorations du massacre de Tiananmen, en vigueur en Chine continentale depuis 1989, s’est étendue à Hong Kong en 2020, trois mois après la promulgation dans cette ville d’une loi draconienne sur la sécurité nationale. En 2020 et en 2021, les autorités ont interdit la veillée commémorant les victimes du massacre de Tiananmen, organisée chaque année par l'Alliance de Hong Kong (Hong Kong Alliance), prétendument pour des raisons liées au Covid-19. En 2021, les autorités ont dissous l'Alliance de Hong Kong, et ordonné la fermeture de son Musée du 4 juin.
En septembre 2021, les autorités de Hong Kong ont accusé trois anciens dirigeants de l'Alliance de Hong Kong – l’ex-président Lee Cheuk-yan, l’ex-vice-président Albert Ho et l’ex-vice-présidente Chow Hang-tung – d'« incitation à la subversion », en vertu de la loi sur la sécurité nationale, ce crime étant passible d'une peine maximale de réclusion à perpétuité. Ces trois personnes sont en détention provisoire depuis plus de trois ans ; leur procès, reporté plusieurs fois, est prévu pour novembre 2025. Chow Hang-tung et quatre autres anciens membres de l'Alliance de Hong Kong ont également été reconnus coupables de ne pas avoir répondu à une demande d'informations de la police de la sécurité nationale ; leurs peines de trois à quatre mois et demi de prison dans cette affaire ont été annulées en mars 2025.
À Hong Kong, certains habitants ont persisté dans leurs tentatives de commémorer le massacre de Tiananmen près du parc Victoria, où se tenait la veillée annuelle. La police a précédemment procédé à des dizaines d'arrestations. Le 4 juin 2024, la police avait averti un homme dont la lampe torche de son téléphone était allumée alors qu'il était assis seul sur un banc public que cela pourrait constituer un acte de « sédition » selon la loi sur la sécurité nationale. Ce jour-là, la police avait arrêté quatre personnes pour des motifs ambigus ; l'une d'elles a été condamnée en décembre 2024 à dix semaines de prison pour « agression contre des policiers ».
La censure et l'autocensure concernant le massacre de Tiananmen sont devenues monnaie courante à Hong Kong. En novembre 2024, les autorités de Hong Kong ont ordonné la modification du numéro de fabrication FA8964 qui était visible sur un lampadaire de rue, car ce chiffre était susceptible de rappeler la date du massacre (04/06/89). En décembre 2024, la compagnie aérienne hongkongaise Cathay Pacific a présenté ses excuses pour avoir inclus dans son offre de divertissements à bord un dessin animé américain comprenant une allusion au « Tank Man » (« L’homme au char ») de Tiananmen.
Vidéo de HRW de juin 2014, à l’occasion du 25ème anniversaire du massacre de Tiananmen
Alors que le gouvernement chinois impose le silence en Chine continentale et à Hong Kong, nombreux sont ceux qui perpétuent l'héritage des manifestants pro-démocratie de 1989. En 2022, un manifestant nommé Peng Lifa a déployé des banderoles sur un pont très fréquenté de Pékin, inspirant d'autres manifestants et contribuant à déclencher le mouvement des « Feuilles blanches » quelques mois plus tard. Peng a été comparé au symbole de la résistance, l'« Homme au char » du massacre de Tiananmen, filmé en train de bloquer une colonne de chars au lendemain de la répression.
En dehors de la Chine et de Hong Kong, des groupes de la diaspora et des comptes anonymes sur les réseaux sociaux du monde entier ont organisé ces dernières années des débats publics, des expositions, des rassemblements et publié des essais pour commémorer la répression de juin 1989. Cette année, 77 événements sont prévus dans 40 villes, dans dix pays.
Après le massacre de Tiananmen, le gouvernement chinois a mené une répression nationale et arrêté des milliers de personnes pour « contre-révolution » et autres accusations criminelles, notamment d'incendie criminel et de trouble à l'ordre public. Le gouvernement n'a jamais reconnu sa responsabilité dans ce massacre ni tenu aucun responsable juridiquement responsable de ces meurtres. Il n'a pas enquêté sur les événements ni publié de données sur les personnes tuées, blessées, victimes de disparition forcée ou emprisonnées. L'association « Mères de Tiananmen » a documenté les circonstances de 202 personnes tuées lors de la répression du mouvement à Pékin et dans d'autres villes.
Le gouvernement a continué d'ignorer les appels internationaux et nationaux à la justice pour le massacre de Tiananmen. Les sanctions imposées par le gouvernement américain en réponse au massacre ont été affaiblies ou contournées au fil des ans. L'absence de sanctions internationales significatives après le massacre et la répression qui a suivi expliquent en partie les violations flagrantes des droits humains commises par Pékin au cours des décennies suivantes, notamment les crimes contre l'humanité visant les Ouïghours et autres musulmans turciques du Xinjiang et la suppression des libertés fondamentales à Hong Kong, a déclaré Human Rights Watch.
À l’occasion du 36e anniversaire du massacre de Tiananmen, le gouvernement chinois devrait prendre les mesures suivantes :
- Respecter les droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique, et mettre fin au harcèlement et à la détention arbitraire des personnes qui contestent la version officielle du massacre de Tiananmen ;
- Rencontrer les membres des Mères de Tiananmen et leur présenter des excuses, publier les noms de toutes les personnes décédées ou emprisonnées à tort, et indemniser de manière appropriée les familles des victimes ;
- Autoriser une enquête publique indépendante sur le massacre de Tiananmen et ses conséquences, et publier rapidement ses conclusions ;
- Autoriser sans condition le retour des citoyens chinois exilés en raison de leurs liens avec les événements de 1989 ; et
- Enquêter sur tous les responsables gouvernementaux et militaires qui ont planifié ou ordonné l'usage illégal de la force meurtrière contre les manifestants, et les poursuivre en justice.
Les gouvernements étrangers devraient intensifier les efforts visant la reddition de comptes pour les graves exactions commises précédemment par le gouvernement chinois. Les gouvernements étrangers devraient aussi commémorer publiquement le 36ème anniversaire du massacre de Tiananmen, notamment dans leurs ambassades, consulats et sur leurs sites web et réseaux sociaux y compris en Chine ; ils devraient soutenir les activités de la diaspora à travers le monde et, le 4 juin, exhorter le gouvernement chinois à assurer la reddition de comptes.
« Malgré les efforts du gouvernement chinois pour étouffer toute commémoration du massacre de Tiananmen, le souvenir de cet incident continue d’être ressenti dans le monde entier », a observé Yalkun Uluyol. « Les gouvernements étrangers devraient soutenir les initiatives commémorant le massacre de Tiananmen, et y faire écho en exhortant Pékin à en assumer enfin la responsabilité. »
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