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États-Unis : De grandes entreprises violent les droits des travailleurs des plateformes numériques

Une réglementation serait requise pour leur garantir des salaires et des avantages sociaux adéquats, et des conditions de travail décentes

Illustration en couverture d’un rapport de HRW publié en mai 2025 au sujet de « gig workers » (travailleurs de plateformes numériques) aux États-Unis. Cette illustration montre un « gig worker » sur une bicyclette, procédant à la livraison d’une commande effectuée via l’une de ces plateformes. Le rapport examine les pratiques de sept entreprises dont Amazon Flex, DoorDash et Uber. © 2025 Brian Stauffer pour Human Rights Watch

(Washington) – Des grandes entreprises gérant des plateformes numériques de services (« gig companies ») aux États-Unis désignent de façon erronée des personnes travaillant pour elles comme des entrepreneurs indépendants, les privant ainsi de leurs droits de travailleurs, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.

Ce rapport de 155 pages, intitulé « “The Gig Trap”: Algorithmic, Wage and Labor Exploitation in Platform Work in the US » (« Le piège “Gig” »: Exploitation algorithmique et violations des droits des travailleurs des plateformes numériques aux États-Unis ») examine les pratiques de sept grandes entreprises de ce type aux États-Unis : Amazon Flex, DoorDash, Favor, Instacart, Lyft, Shipt et Uber. Ces sociétés prétendent offrir la « flexibilité » aux personnes travaillant pour elles en tant que « gig workers » (terme parfois traduit comme « travailleurs à la demande » ou « travailleurs de plateformes numériques »), mais au final les rémunèrent souvent moins que le salaire minimal de l’État ou de la municipalité. Six de ces sept entreprises emploient des algorithmes aux règles opaques pour assigner les tâches et déterminer les rémunérations, ce qui fait que les travailleurs ne savent pas combien ils seront payés jusqu’à ce qu’ils aient terminé le travail.

« Les plateformes numériques de services ont créé un modèle commercial qui leur permet d’échapper aux responsabilités d’un employeur tout en maintenant les travailleurs sous un étroit contrôle algorithmique, dominé par des décisions opaques et imprévisibles », a déclaré Lena Simet, chercheuse senior sur les questions de pauvreté et d’inégalité à Human Rights Watch. « Ces entreprises promettent de la flexibilité, mais en réalité, elles laissent leurs travailleurs à la merci de rémunérations instables et inférieures au salaire minimal, avec peu de protection sociale et dans la crainte constante d’une interruption de contrat sans voie de recours. »

Les sept entreprises examinées utilisent des algorithmes pour assigner des tâches aux travailleurs, pour les superviser, pour les rémunérer, mais aussi pour terminent leurs contrats. À l’exception d’Amazon Flex, qui se fonde sur un tarif horaire fixe, toutes emploient des algorithmes opaques et variant fréquemment pour calculer la rétribution de chaque mission ou service. Les applications et les plateformes sont conçues pour maintenir les travailleurs « gig workers » en activité pendant de longues périodes de travail pour des tarifs minimes, et les algorithmes de tarification dynamique font qu’il leur est extrêmement difficile de planifier leur emploi du temps et de contrôler leurs revenus. Gérés par des algorithmes, les travailleurs ne peuvent jamais tout à fait comprendre de quelle manière on leur attribue le travail, ni comment on calcule leur rétribution. Sans aucune transparence, il leur est extrêmement difficile de remettre en question les décisions concernant leur travail ou leur rémunération.

Human Rights Watch a examiné les conditions de travail des travailleurs assurant des services de taxi informel (« ride-hailing »), de courses et de livraison de repas, notamment au Texas. Le rapport est fondé sur des entretiens semi-structurés avec 95 travailleurs de plateformes au Texas et dans douze autres États américains, ainsi que sur une enquête auprès de 127 travailleurs du Texas.

Les faibles revenus, le contrôle algorithmique et les obstacles à la syndicalisation enferment de nombreux travailleurs dans l’insécurité économique, a constaté Human Rights Watch, alors même que les entreprises multimilliardaires étendent leurs parts de marché et leurs bénéfices.

La faiblesse des règlementations autorise ces sociétés à considérer abusivement leurs travailleurs comme des entrepreneurs indépendants et non pas comme leurs employés, même si la nature de leur travail et le degré de contrôle qu’elles exercent sur eux répondent souvent aux critères juridiques du statut d’employé. Cela permet à ces sociétés de ne pas respecter les lois sur le salaire minimal, la rémunération des heures supplémentaires et la contribution aux avantages sociaux. Pour les travailleurs, cela signifie qu’ils doivent prendre à leur charge le véhicule, le carburant, l’assurance et l’entretien, mais aussi payer la part employeur des contributions à la sécurité sociale et à l’assurance maladie.

Les revenus des travailleurs texans interrogés étaient inférieurs de 30 % au salaire minimum fédéral et de 70 % à ce que le Massachusetts Institute of Technology considère comme un salaire permettant de vivre au Texas. Ces conclusions viennent renforcer les recherches de gouvernements locaux, d’instituts universitaires et de chercheurs en matière de politiques, qui constatent toutes que ces travailleurs ont des revenus inférieurs ou égaux au salaire minimal local et bien inférieur au seuil d’un niveau de vie décent.

Les États-Unis disposent de l’un des marchés des services de plateformes numériques (aussi appelé « gig economy » – « économie gig » ou « économie des petits boulots ») au monde. Le nombre de personnes qui gagnent leur vie à travers le « gig work » (parfois appelé « ubérisation » en français) a explosé ces dernières années. D’après des estimations, en 2021, 16 % des adultes américains avaient travaillé au moins une fois pour une plateforme numérique de services. Parmi les travailleurs des plateformes, on compte une part disproportionnée de personnes d’origine afro- ou latino-américaine.

Les travailleurs ayant répondu à l’enquête de Human Rights Watch gagnaient en moyenne 16,90 USD de l’heure (pourboires compris), mais en dépensaient près de la moitié en charges liées à leur travail. En tenant compte des avantages sociaux, que les employeurs couvrent souvent pour les autres travailleurs, leur paye effective tombait à 5,12 USD de l’heure. Certains travailleurs ont même rapporté qu’une fois déduites les charges, ils ne gagnaient rien du tout.

Trois quarts des travailleurs interrogés ont déclaré qu’ils avaient eu du mal à payer leur logement au cours de l’année écoulée et la majorité a rapporté des difficultés pour acheter à manger, faire les courses, régler l’électricité et l’eau. Plus d’un tiers d’entre eux estimaient qu’ils auraient du mal à faire face à une urgence médicale coûtant 400 USD.

Les travailleurs ont expliqué à Human Rights Watch qu’ils vivaient dans la crainte quasi-permanente de se faire « désactiver » ou renvoyer par une application, souvent sans explication ni voie de recours. Près de la moitié de ceux qui avaient ainsi été automatiquement renvoyés ont pu par la suite être acquittés de toute faute, ce qui suggère qu’il existe un taux élevé de désactivations erronées de comptes.

L’insécurité financière des travailleurs des plateformes est d’autant plus frappante que les revenus des sociétés elles-mêmes sont en forte hausse. Uber, qui détient 76 % de parts du marché américain du covoiturage (« ride-sharing »), a déclaré 43,9 milliards USD de chiffre d’affaires en 2024, soit 17,96 % de plus que l’année précédente, et un bénéfice net de 9,8 milliards USD. En avril 2025, Uber disposait d’une capitalisation boursière de 169,41 milliards USD. DoorDash, avec 67 % de parts du marché de la livraison de repas aux États-Unis, a enregistré un chiffre d’affaires de 10,72 milliards USD en 2024 et était évaluée à 81,03 milliards USD en avril 2025.

En présentant abusivement leurs travailleurs comme des entrepreneurs indépendants, les sociétés des plateformes évitent par ailleurs de contribuer à la sécurité sociale, à l’assurance maladie et à l’assurance chômage, privant ainsi les fonds publics de ressources cruciales. Ayant consulté les données fiscales issues des statistiques sur les structures non employeuses (« Nonemployer Statistics ») du Bureau du recensement, Human Rights Watch estime que, entre 2020 et 2022, le Texas aurait pu collecter auprès des entreprises des plateformes plus de 111 millions USD de contributions à l’assurance chômage, si les travailleurs assurant les services de covoiturage, de livraison et à domicile avaient été déclarés comme employés. Le manque à gagner réel est certainement bien plus élevé si l’on tient compte des revenus non déclarés.

En réponse à la demande de commentaires adressée par Human Rights Watch, la société Lyft a déclaré : « Le travail basé sur des applications fournit à des millions d’Américains des opportunités de travail à la flexibilité unique, leur laissant ainsi la possibilité de poursuivre d’autres objectifs, d’assurer d’autres engagements ou obligations. Bien mieux qu’un emploi traditionnel aux horaires fixes, il leur permet de gérer leurs nombreux engagements réels et imprévisibles et leurs emplois du temps chargés. » Amazon a participé à une rencontre avec Human Rights Watch au sujet du rapport, et a également fourni, par voie écrite le 10 mai, certains éclaircissements qui ont été intégrés dans le rapport. Les autres sociétés n’ont pas répondu au courrier de Human Rights Watch.

Le droit international relatif aux droits humains exige des conditions de travail justes et favorables pour tous les travailleurs, y compris ceux des plateformes numériques.

Le département du Travail des États-Unis, la Commission fédérale du commerce (Federal Trade Commission), la Commission des travailleurs du Texas (Texas Workforce Commission) ainsi que les entités homologues des autres États devraient prendre des mesures immédiates pour assurer la sécurité du travail aux « gig workers » et protéger leurs droits à la syndicalisation, a déclaré Human Rights Watch.

« Les plateformes numériques de services ont créé une main-d’œuvre qui ne jouit d’aucun des droits et des protections pour lesquelles les travailleurs se sont battus pendant des décennies », a conclu Lena Simet. « Alors que de plus en plus de personnes sont attirées par le travail “gig work” pour boucler leurs fins de mois, les autorités de l’État fédéral et des États devraient passer à l’action pour leur garantir les protections auxquelles elles ont droit et œuvrer, aux côtés de l’Organisation internationale du travail, à l’établissement d’une norme mondiale contraignante pour le travail des plateformes numériques. »

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